En matière de santé au travail, l’employeur est tenu par un grand nombre d’obligations, notamment :

  • évaluation et prévention des risques (document unique, formation sécurité …) ;
  • déclaration des accidents du travail (AT) et financement de leur prise en charge (cotisation AT-MP) ;
  • suivi de santé (médecine du travail) et reclassement des salariés inaptes.

Cette « responsabilité » au sens large de l’employeur est historiquement à l’origine de la naissance du droit social, et elle en constitue encore aujourd’hui le cœur vivant. Ainsi, il est révélateur que, dans la législation actuelle, la prise en charge du coût de l’assurance couvrant le risque d’AT constitue le premier élément de la « responsabilité sociale » des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants (C. trav., art. L. 7342-2 ; D. 7342-1 et -2).

Malheureusement, cette responsabilité de l’entreprise est trop souvent confondue avec une forme de culpabilité. Il est donc bon de rappeler ce qui devrait être une évidence : ce n’est pas parce que l’employeur a des obligations vis-à-vis du salarié malade, blessé ou inapte, que l’entreprise ou le travail doivent nécessairement se trouver mis en cause. L’employeur peut être comptable sans être coupable.

Deux illustrations.

Le cas de l’inaptitude à tout poste

Un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, et celui-ci indique dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. Cette formule vise à dispenser l’employeur de procéder à des recherches de reclassement, lorsqu’il apparaît au médecin du travail que le salarié ne pourra en aucun cas être reclassé (C. trav., art. L. 1226-2-1 et -12, R. 4624-42).

Or cette mention est parfois interprétée comme révélant que l’inaptitude du salarié trouverait sa cause dans le travail, bref que cette inaptitude serait d’origine professionnelle. Cette interprétation est bien entendu totalement erronée : l’inaptitude avec impossibilité totale de reclassement peut parfaitement trouver son origine dans les problèmes de santé spécifiques du salarié. Ce type de mention est complètement neutre quant à l’appréciation de l’origine de l’inaptitude.

Ainsi :

  • Ne caractérise pas l’existence d’un lien entre la maladie et le travail du salarié le fait que le médecin du travail a déclaré une inaptitude à tous postes dans l’entreprise ( civ. 2, 30 novembre 2017, n° 16-25902).
  • La dispense de recherche de reclassement préconisée par le médecin du travail n’induit pas que l’inaptitude serait d’origine professionnelle (Cour d’appel de Douai 30 novembre 2018, n° 18/01691).

Le cas du décès au travail

Autre exemple de risque de confusion, illustré par de récentes décisions : un salarié décède d’un malaise cardiaque sur son lieu de travail ; ce décès constitue-t-il un AT ?  Une Cour d’appel retient que non, au terme de la motivation suivante :

« l’enquête administrative de la caisse n’avait identifié aucune cause de stress professionnel important ; au contraire, l’ambiance est qualifiée de très bonne, la victime étant décrite comme un homme très engagé professionnellement, très équilibré, chaleureux et souriant, à l’opposé d’une personne stressée ; la réunion à laquelle la victime devait participer, qui avait à peine commencé, ne présentait aucune difficulté particulière, d’autant moins que les résultats devant y être présentés étaient bons et que rien ne permettait d’envisager que la victime puisse être mise, d’une façon ou d’une autre, en difficulté ; les relations de la victime avec son nouveau supérieur, arrivé au mois d’août, étaient très constructives et le dialogue très ouvert, le management de ce dernier étant plus en adéquation avec la philosophie de la victime » (CA Versailles, 12 avril 2018, n°17/03786).

La Cour de cassation annule cette décision en rappelant un principe : un accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail (Cass. civ. 2, 11 juillet 2019, n° 18-19.160). Le raisonnement tenu par la Cour d’appel révélait une perte de repères : un accident du travail peut être reconnu sans que soit constatée l’existence de conditions de travail dégradées, donc sans que cela suppose ou implique une forme de mise en cause de l’employeur. Si, le cas échéant, la responsabilité de l’employeur doit être recherchée, c’est dans un autre cadre, celui de l’action en reconnaissance de faute inexcusable (C. séc. soc., art. L. 452-1 et s.).

Deux enseignements à cette décision :

  • L’employeur doit être vigilant quant à son obligation de déclaration des accidents du travail (et conscient qu’il peut émettre des réserves s’il y a lieu) ;
  • L’employeur peut déclarer un accident du travail sans que cela vaille « aveu » d’une faute ou de l’existence de mauvaises conditions de travail!