Rétractation ou absence de signature de l’employeur, conséquences du défaut de remise d’un exemplaire de la convention au salarié : la Cour de cassation poursuit son encadrement de la rupture conventionnelle. Des solutions pragmatiques qui constituent autant de rappels des impératifs procéduraux liés à ce mode de rupture.

Le résumé des affaires

Affaire nº 1 [nº 18-22.897] Le treizième jour après la signature d’une rupture conventionnelle, l’employeur exerce son droit de rétractation en adressant au salarié une lettre recommandée avec avis de réception. Le salarié reçoit la lettre au seizième jour après la rupture, soit le lendemain de l’expiration du délai de rétractation. Il considère que la rétractation de l’employeur est sans effet car trop tardive. La Cour de cassation lui donne tort.

Affaire nº 2 [nº 18-14.414] Un salarié et son employeur signent une rupture conventionnelle sous la forme du formulaire Cerfa signalant être établi en deux exemplaires. Le salarié saisit le conseil de prud’hommes car malgré cette mention, il affirme ne pas avoir reçu d’exemplaire de la convention. En l’absence de preuve d’une telle remise, la Cour de cassation lui donne raison.

Affaire nº 3 [nº 17-14.232] L’exemplaire de la convention de rupture remise au salarié est dépourvu de la signature de son employeur. Le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour faire annuler la rupture. La cour d’appel refuse en signalant que le délai de rétractation courrait dès lors que le salarié avait apposé sa signature. La Cour de cassation ne suit pas cette approche et donne raison au salarié.

Les solutions des juges

Affaire nº 1 [nº 18-22.897] Une partie à une convention de rupture peut valablement exercer son droit de rétractation dès lors qu’elle adresse à l’autre partie, dans le délai de 15 jours calendaires, une lettre de rétractation. Il résultait que la lettre de rétractation, adressée au salarié avant la date d’expiration du délai, devait produire ses effets.

Affaire nº 2 [nº 18-14.414] Pour débouter le salarié de sa demande de nullité de la rupture conventionnelle, la cour d’appel retient que la convention de rupture rédigée sur le formulaire Cerfa mentionne qu’elle a été établie en deux exemplaires, et que quand bien même il n’est pas indiqué que chacun des exemplaires a été effectivement remis à chaque partie, il doit être présumé que tel a bien été le cas. En statuant ainsi, sans constater qu’un exemplaire de la convention de rupture avait été remis au salarié, la cour d’appel a violé les textes.

Affaire nº 3 [nº 17-14.232] Pour dire valable la rupture conventionnelle, [la cour d’appel] retient que nonobstant l’absence de la signature de l’employeur sur l’exemplaire de la rupture conventionnelle remis au salarié, celui-ci avait toujours la possibilité d’exercer son droit de rétractation, dans un délai de 15 jours imparti, à compter de sa propre signature de ce document qui rappelle expressément l’existence de cette faculté. En statuant ainsi, alors que seule la remise au salarié d’un exemplaire de la convention signé des deux parties lui permet de demander l’homologation de la convention et d’exercer son droit de rétractation en toute connaissance de cause, la cour d’appel a violé les textes.

L’employeur peut changer d’avis sous 15 jours, comme le salarié

Possibilité de se rétracter

La rupture conventionnelle est conclue entre un salarié et son employeur, ou le représentant de celui-ci, afin de mettre fin au contrat de travail d’un commun accord, à l’issue d’au moins un entretien préparatoire [C. trav., art. L. 1237-12]. Le lendemain de la signature de la convention de rupture, un délai de 15 jours calendaires commence à courir, pendant lequel le salarié comme l’employeur peuvent décider de revenir sur leur décision de se séparer [C. trav., art. L. 1237 13]. Lorsqu’une partie exerce son droit de rétractation, comme l’employeur dans cette première affaire [nº 18-22.897], la rupture conventionnelle n’est pas prononcée et le contrat de travail se poursuit.

REMARQUE

La rupture conventionnelle repose sur la volonté des deux parties de rompre le contrat de travail d’un commun accord. La possibilité pour le salarié et l’employeur de revenir sur leur décision garantit ainsi le libre et total consentement des parties.

Ce droit de rétractation est exercé simplement par l’envoi d’un courrier à l’autre partie à la convention de rupture. Le délai étant calendaire, il est décompté de date à date, en comptant tous les jours, même chômés. Lorsqu’il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, le délai est prorogé jusqu’au lendemain du jour ouvrable suivant. Ainsi, si une convention de rupture conventionnelle est signée le mardi 9, le délai commence à courir le mercredi 10 et expire le jeudi 25 à minuit.

À NOTER

Aucune justification ni motivation n’est nécessaire pour se rétracter. S’agissant du formalisme, la partie qui change d’avis doit adresser une lettre par tout moyen permettant d’attester de sa date de réception par l’autre partie [C. trav., art. L. 1237-13]. En pratique, il peut s’agir d’une lettre recommandée avec avis de réception ou d’une lettre remise en main propre contre décharge [Circ. DGT nº 2008-11, 22 juill. 2008].

Dans notre affaire, les parties avaient signé une rupture conventionnelle le 21 janvier et l’employeur avait adressé son courrier de rétractation le 3 février, soit 13 jours calendaires après la conclusion de la convention. Le salarié l’avait reçu le 6 février, lendemain de l’expiration du délai de rétractation. En pratique, la rupture conventionnelle n’a donc pas été prononcée, à tort selon le salarié. Considérant la rétractation de l’employeur sans effet, il a saisi le conseil de prud’hommes afin de demander le paiement de son indemnité spéciale de rupture conventionnelle.

Formalisme identique pour l’employeur et le salarié

La Cour de cassation a déjà jugé, s’agissant de la rétractation d’un salarié, qu’elle est valable dès lors qu’il envoie sa lettre dans les 15 jours calendaires suivant la signature de la convention, peu important que le courrier soit reçu après l’expiration de ce délai [Cass. soc., 14 févr. 2018, nº 17-10.035]. Les juges font ainsi une lecture littérale de l’article du Code du travail qui prévoit que les parties disposent de 15 jours pour exercer leur droit de rétractation, droit qui est exercé sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen [C. trav., art. L. 1237-13].

En toute logique, la haute Cour retient la même solution s’agissant de l’employeur : il dispose de 15 jours pour adresser une lettre de rétractation au salarié s’il le souhaite. Dans notre affaire, elle juge donc que la rétractation de l’employeur exercée le treizième jour était valable et que l’indemnité de rupture conventionnelle n’est pas due au salarié.

Notons que l’administration avait homologué la rupture conventionnelle mais que cette homologation était sans effet face à la rétractation de l’employeur. Le contrat de travail du salarié avait ensuite été transféré à un repreneur, la société de l’employeur devant être dissoute. Dans un autre contexte, les parties auraient pu conclure une nouvelle rupture, rompre le contrat de travail par un licenciement ou une démission ou encore poursuivre le contrat de travail dans les mêmes conditions qu’avant la tentative de rupture conventionnelle.

REMARQUE

En pratique, la partie à une rupture conventionnelle qui change d’avis dans les derniers jours du délai de rétractation peut parfaitement informer l’administration de sa décision, sans que cela ne soit obligatoire. Attention cependant, la rétractation exercée par le seul envoi d’une lettre à l’administration et non à l’autre partie n’est pas valable [Cass. soc., 6 oct. 2015, nº 14-17.539].

La remise au salarié de son exemplaire de la convention ne se présume pas

Dans la seconde affaire [nº 18-14.414], le litige opposant le salarié à son ex-employeur concerne la remise de l’exemplaire de la convention de rupture. Selon le salarié, cet exemplaire qui devait lui revenir après signature ne lui avait jamais été remis.

ATTENTION

L’établissement de deux exemplaires de la convention de rupture et la remise d’un de ces exemplaires au salarié sont obligatoires afin de lui permettre de faire usage de son droit de rétractation. Une convention méconnaissant cette obligation est nulle et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse [Cass. soc., 6 févr. 2013, nº 11-27.000].

L’employeur, de son côté, s’appuyait sur l’établissement d’un formulaire Cerfa qui mentionnait que la convention avait été établie en deux exemplaires. Selon lui, cet élément suffisait pour présumer que le document avait bien été rédigé en deux exemplaires dont un remis au salarié.

À NOTER

Le formulaire Cerfa de rupture conventionnelle est le nº 14598*01, disponible à l’adresse suivante : www.formulaires.modernisation.gouv.fr/gf/cerfa_14598.do

La cour d’appel suit l’employeur : la mention sur le formulaire suffit à présumer que le salarié a reçu son exemplaire, dans la mesure où il a justement signé ce formulaire. Ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui censure cette décision. Pour elle, la simple mention de l’établissement en deux exemplaires sur le formulaire Cerfa ne suffit pas à prouver que le salarié a reçu son exemplaire, même si sa signature a été apposée sur l’exemplaire présenté aux juges par l’employeur. En l’absence de la moindre preuve que le salarié a bien reçu son exemplaire, il y a donc lieu de considérer qu’il ne lui a pas été remis. La rupture conventionnelle doit par conséquent être annulée et la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’absence de signature de l’employeur rend la rétractation du salarié possible à tout moment

Notre dernière affaire [nº 17-14.232] s’intéresse également au sort de la convention de rupture. Cette fois, elle avait bien été établie en deux exemplaires mais seul l’employeur avait apposé sa signature. Ce dernier avait ensuite demandé l’homologation, suite à quoi le salarié avait tenté de faire jouer son droit de rétractation, hors du délai de 15 jours.

Cherchant à faire annuler la convention de rupture devant la cour d’appel, le salarié s’appuie sur le fait que les deux signatures sont indispensables pour faire courir le délai de rétractation. Pour les juges d’appel, le salarié disposant d’un exemplaire avec sa propre signature il avait bien la possibilité de se rétracter dans le délai de 15 jours. Faute de l’avoir fait, la rupture conventionnelle était valable.

Ce n’est pas la solution que retient la Cour de cassation. Revenant aux fondamentaux de la rupture conventionnelle, elle rappelle que ce n’est qu’à partir du moment où il dispose d’un exemplaire signé par lui et l’employeur que le salarié peut demander soit l’homologation, soit à se rétracter [C. trav., art. L.1237-13]. Si l’employeur ne signe pas, le délai de rétractation du salarié ne court pas, et le dépôt de la convention pour homologation de la part de l’employeur ne respecte pas la faculté du salarié de se rétracter. D’où, là encore, une rupture conventionnelle encourant l’annulation et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cass. soc., 19 juin 2019, nº 18-22.897 ; Cass. soc., 3 juill. 2019, nº 18-14.414 et nº 17-14.232