Un salarié peut-il être contraint de travailler dans un lieu différent de celui figurant sur son contrat de travail ?
À cette question la jurisprudence répond : « la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d’information à moins qu’il soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu ».
Pour autant, il n’est pas toujours possible de modifier le lieu de travail sans l’accord du salarié. Si le nouveau lieu de travail est dans le même secteur géographique que le lieu de travail actuel, l’accord du salarié n’est pas requis ; bien plus, son refus d’un changement de ses conditions de travail constitue une faute. La notion de secteur géographique relève de l’appréciation des juges qui tiendront compte notamment, du bassin d’emploi et des facilités de transport.
Mais les juges prennent également en considération la situation personnelle et familiale du salarié :
» …en se déterminant ainsi, sans rechercher comme il lui était demandé, la décision d’affectation de la salariée ne portait pas atteinte aux droits de la salariée à la santé et au repos et à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Santé, repos, conciliation vie professionnelle/ vie personnelle… sont désormais des notions omniprésentes.
À la lumière de cette philosophie de la relation de travail, la « mobilité » induit aussi, paradoxalement, la faculté de travailler en restant chez soi.
L’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 article 20, réformant le régime du télétravail n’échappe pas à cette évolution.
Selon le ministère du Travail, « le télétravail répond à une demande à la fois sociale, économique et environnementale. Plus encore, le télétravail permet une meilleure conciliation entre vie personnelle et professionnelle. » L’ordonnance facilite donc la mise en place du télétravail.
Selon l’article L. 1222-9 du Code du travail « le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».
Ainsi, le salarié peut certes effectuer son travail de chez lui mais aussi dans tout autre lieu, par exemple dans un centre de proximité dit co-working ; de façon régulière ou occasionnelle.
Le télétravail est mis en place par accord collectif ou par charte élaborée par l’employeur ou encore par accord individuel avec le salarié. L’accord collectif ou, à défaut la charte, précise notamment :
1. Les salariés éligibles au télétravail : il faut nécessairement que le salarié utilise les TIC. Nombre de salariés ne peuvent pas être éligibles au télétravail même occasionnellement et resteront mobiles.
2. Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail.
3. Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail.
4. La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.
Sur ces deux derniers points, rappelons que le télétravail est une forme d’organisation du travail mais c’est avant tout du travail ; le salarié reste sous la subordination de son employeur (à distance) et donc doit être joignable par celui-ci ; joignable oui, mais pas à toute heure.
Si le salarié est soumis aux horaires collectifs applicable dans l’entreprise ou le service, il est tenu de respecter ces horaires, de chez lui ; quant à l’employeur, il ne peut rien exiger du salarié en dehors des plages horaires.
Si le salarié est en forfait annuel jours ou heures, les règles de repos quotidien et hebdomadaires ainsi que le droit à déconnexion devront être rappelées et respectées par chaque partie au contrat.
Déterminer si le salarié est sous la subordination de l’employeur est aussi important au regard de la législation relative à la protection sociale.
Le dernier alinéa de l’article L 1222-9 du code du travail prévoit : « L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ». Aux termes de ce dernier texte : « Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. » L’accident survenu au télétravailleur est donc présumé être un accident du travail.
Toutefois, ce qui est (ou devrait être) aisé à vérifier pour tout accident déclaré dans les locaux de l’entreprise, l’est beaucoup moins lorsque le salarié est hors de ces locaux. Une lettre circulaire du 7 juillet 1998 précise « En cas de contestation, le télétravailleur devra apporter la preuve que l’accident est bien lié au travail (notion de temps, de lieu, de lien de subordination avec l’employeur). » Il conviendra de rechercher si le contrat de travail comporte des clauses spécifiques précisant les modalités de cette nouvelle organisation du travail, notamment les aménagements en matière d’horaires. Dans tous les cas, la CPAM devra disposer de présomptions suffisantes pour constater le caractère professionnel de l’accident. »
Enfin, rappelons, que concernant les salariés en forfait-jours, l’employeur est tenu de s’assurer régulièrement que la charge de travail est raisonnable, la législation relative au télétravail n’échappant pas à cette règle.
5. Les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail.
Ce retour sera prévu aux termes de la clause de réversibilité : quelles hypothèses, quel délai de prévenance, quel formalisme… ?
Si le salarié sollicite un retour dans l’entreprise, l’employeur n’a aucune obligation de faire droit à la demande (sauf si l’accord, la charte ou le contrat de travail le prévoit). En revanche, l’employeur a obligation « De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature » (art. L. 1222-10 C . trav.).
Hormis les hypothèses prévues par la clause de réversibilité, l’employeur ne pourra pas mettre fin au télétravail. Il s’agit en effet d’une modification du contrat de travail qui ne peut pas être imposé au salarié (Cass. soc. 12 février 2014 n°12-23.051).
Il n’est pas possible non plus de soutenir que le refus du salarié constitue un motif économique (Cass. soc. 21 septembre 2017 n°16-18.723)
Nombres de clauses prévoient la suppression du télétravail si l’employeur estime que ce mode de travail n’est pas satisfaisant. Or, en pratique, les salariés en télétravail depuis de nombreuses années n’accepteront pas toujours ce retour à l’entreprise.
Il appartiendra alors à l’employeur de justifier sa décision, auprès de ces salariés qui, passé un certain temps, préfèrent garder leurs distances avec le modèle traditionnel, sédentaire et collectif, du travail en entreprise.
Mais demain, y aura-t-il encore un modèle traditionnel de travail et quel sera t- il ?