Une clause de variabilité des horaires ne permet pas à l’employeur de décider unilatéralement un passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour faisant perdre aux salariés le bénéfice des primes du soir ou de nuit. Ce changement constitue une modification du contrat de travail qui nécessite l’accord des salariés.
Soc. 14 nov. 2018, FS-P+B, n° 17-11.757
En principe, la modification des horaires de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur et ne constitue pas, à la différence d’une modification de la durée du travail, une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié. Il s’agit de la distinction entre changement des conditions de travail et modification d’un élément essentiel du contrat de travail. Le changement des conditions de travail peut se définir comme l’exécution du contrat de travail dans des conditions différentes. Dès lors, il relève du pouvoir de direction de l’employeur et ne requiert pas l’accord du salarié. Le salarié opposant un refus commet un acte d’insubordination et donc une faute qu’il appartient à l’employeur de sanctionner par un licenciement. À l’inverse, la modification d’un élément essentiel du contrat ne peut être opérée que d’un commun accord entre employeur et salarié. Ainsi, l’employeur ne fait que proposer la modification du contrat, le salarié ayant la possibilité d’opposer un refus, sans que celui-ci soit fautif.
Les horaires de travail ne font donc pas partie des éléments essentiels du contrat de travail et leur modification relève du pouvoir de direction l’employeur. Toutefois, dans certains cas, en fonction de leur incidence, la jurisprudence a pu juger que l’employeur ne pouvait modifier les horaires de travail sans l’accord des salariés.
L’arrêt du 14 novembre 2018 revient sur cette exception.
Des salariés qui travaillaient en horaires du soir et de nuit ont vu leurs horaires modifiés, passant en horaires de jour et leur faisant perdre le bénéfice de primes, sans que l’employeur ait préalablement recueilli leur accord. Ils ont saisi la juridiction prud’homale afin d‘obtenir des sommes à titre de rappel de salaires et de dommages et intérêts.
La cour d’appel de Grenoble a débouté les salariés de leurs demandes au motif que les contrats de travail comprenaient l’indication de la rémunération brute des salariés et du montant des primes du soir ou de nuit, qu’il était prévu que les nécessités de la production pouvaient amener l’entreprise à affecter les salariés dans les différents horaires pratiqués dans l’entreprise et que l’horaire était susceptible d’être modifié. Ainsi, selon les juges du fond, les horaires n’avaient pas été contractualisés et l’employeur était libre, en application de son pouvoir de direction, de les modifier et de réduire la rémunération des salariés en conséquence.
Devant la Cour de cassation, comme devant la cour d’appel, l’employeur s’appuyait sur la rédaction des contrats de travail qui prévoyaient des horaires de jour, de soir, de nuit, des horaires tournants, ainsi que des horaires de fin de semaine et sur la mention prévoyant qu’en fonction des nécessités de la production, les horaires pouvaient être amenés à changer.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble. Une clause du contrat de travail ne peut permettre à l’employeur de modifier unilatéralement les éléments essentiels du contrat de travail. Une clause offrant à l’employeur la possibilité de changer les horaires et donc les rémunérations ne doit pas être prise en compte par les juges.
Ainsi, dès lors qu’une modification porte directement ou indirectement sur un élément essentiel du contrat de travail, l’accord du salarié est nécessaire. La clause qui permettrait une telle modification unilatérale est illicite.
La modification est appréciée souverainement par les juges du fond sous le contrôle normatif de motivation de la Cour de cassation en fonction des situations particulières. Les illustrations jurisprudentielles permettent de tracer les contours de cette distinction.
S’agissant des horaires de travail, l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la journée relève en principe du pouvoir de direction de l’employeur. Le changement d’horaire ne nécessite donc pas, l’accord du salarié (Soc. 3 nov. 2011, n° 10-14.702, Dalloz actualité, 28 nov. 2011, obs. A. Astaix ; D. 2012. 67, note P. Lokiec ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2012. 147, note E. Dockès ; RDT 2012. 31, obs. S. Tournaux). L’employeur peut donc imposer au salarié une nouvelle répartition de l’horaire au sein de la journée, dès lors que la durée du travail et la rémunération restent identiques (Soc. 22 févr. 2000, n° 97-44.339 P, D. 2000. 377, obs. T. Aubert-Monpeyssen ; 6 oct. 2004, n° 02-43.488, Dalloz jurisprudence). La Cour de cassation a pu juger que le passage d’une heure de travail de nuit à une heure de travail de jour sans modification de la durée totale du travail s’imposait au salarié. En effet, la réduction d’une heure de la durée du travail de nuit d’un salarié travaillant selon une durée de travail inchangée répartie entre le jour et la nuit ne constitue pas une modification du contrat de travail. La suppression de la majoration conventionnelle correspondant à cette heure de nuit est justifiée (Soc. 30 mai 2012, n° 11-10.087, RJS 8-9/2012, n° 686). Il en va de même pour le passage d’un horaire de 18 heures à 6 heures à celui de 15 heures à 1 heure (Soc. 4 févr. 2015, n° 13-21.644, Dalloz jurisprudence), un changement d’horaires s’accompagnant pourtant d’une diminution de la rémunération résultant de la perte d’une prime (de panier) liée à des sujétions ayant disparu dans le cadre du nouvel horaire (Soc. 9 avr. 2015, n° 13-27.624, Dalloz actualité, 18 mai 2015, obs. W. Fraisse ; D. 2015. 871).
En revanche, la modification des horaires de travail peut constituer une modification du contrat de travail dans certains cas. C’est notamment le cas lorsque le changement provoque un bouleversement très important des conditions de travail, par exemple, en cas de passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit (Soc. 20 janv. 2010, n° 08-43.236 ; 25 juin 2014, n° 13-16.392, Dalloz jurisprudence). Constitue également une modification du contrat de travail le passage total ou partiel d’un horaire de jour à un horaire de nuit (Soc. 7 avr. 2004, n° 02-41.486, D. 2004. 1284 ; 30 oct. 2007, n° 06-43.455, Dalloz jurisprudence). La haute juridiction a même jugé que le passage temporaire d’un passage partiel d’un horaire de jour à un horaire de nuit était une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié (Soc. 18 sept. 2013, n° 12-18.065, Dr. soc. 2013. 1053, obs. A. Fabre ; ibid. 2014. 11, chron. S. Tournaux), tout comme le passage d’un horaire partiellement de nuit en un horaire entièrement de nuit (Soc. 1er juill. 2009, n° 08-43.650, Dalloz jurisprudence).
L’atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou au droit de repos peut également constituer une modification du contrat de travail en cas de changement d’horaires. Notons que la modification du contrat de travail peut être reconnue lorsque l’employeur modifie les horaires dans le seul but de nuire au salarié, cette situation constituant en outre un abus de droit (Soc. 12 mars 2002, n° 99-46.034, Dalloz jurisprudence).