Lors de la mise en œuvre d’un projet de licenciement ou de sanction disciplinaires, quel employeur n’a pas été confronté à des difficultés d’application des délais légaux qui jalonnent la procédure. Entretien reporté, projet de sanction modifiant le contrat de travail : comment calculer le point de départ des différents délais ? Des décisions récentes de la Cour de cassation lèvent certaines interrogations.

 

Report de l’entretien et respect du délai de convocation

L’employeur qui envisage de licencier un collaborateur est tenu de respecter un délai minimum de cinq jours ouvrables entre la convocation du salarié et la date à laquelle doit se tenir cet entretien (art. L. 1232-2 CT). Rappelons que ni le jour de remise de la lettre, ni celui de l’entretien ne comptent, le salarié devant disposer d’un délai de cinq jours ouvrables pleins pour préparer sa défense.

Certaines circonstances peuvent conduire au report de la date initialement fixée : un empêchement non prévisible de la personne devant recevoir le salarié, l’absence de ce dernier à la date initialement fixée… La question se pose alors de savoir si l’employeur est tenu de respecter à nouveau le délai de cinq jours ouvrables pour fixer la nouvelle date d’entretien.

En 2010, la Cour de cassation avait apporté une réponse nuancée à cette question en décidant qu’  » en cas de report, à la demande du salarié « , le délai de cinq jours ouvrables prévu par l’art. L. 1232-2 CT court à compter de la présentation de la lettre initiale de convocation (Soc 24/11/2010 n° 09-66616).

De cet arrêt on pouvait conclure qu’un report de la date d’entretien à la seule initiative de l’employeur emportait l’obligation de respecter un nouveau délai de cinq jours ouvrables. Un arrêt rendu récemment, s’agissant cette fois du délai de notification de la sanction, vient conforter cette conclusion.

(Cass. Soc., 24 nov. 2010, n°09-66.616)

 

Report de l’entretien et délai de notification d’une mesure disciplinaire

Qu’il s’agisse d’un licenciement disciplinaire ou d’une sanction disciplinaire, l’employeur doit notifier sa décision dans un délai maximum d’un mois  » après le jour fixé pour l’entretien  » (art. L. 1332-2 CT).

Là encore la question se pose de savoir quelle date il convient de retenir quand cet entretien a été reporté ?

Une réponse claire vient d’être apportée : il s’agit, selon la Cour de cassation, de la date initialement prévue, dès lors que la nouvelle convocation résulte de la  » seule initiative de l’employeur  » et non d’une demande de report du salarié ou de l’impossibilité de ce dernier de se présenter au premier entretien.

Pour la Cour, le report du point de départ du délai de notification du licenciement suppose soit que l’employeur ait accédé à la demande, par le salarié, d’un nouvel entretien, soit que le salarié l’ait informé de son impossibilité de se présenter (Soc 23/01/2013 n°11-22724).

Dans cette affaire, le salarié ne s’étant pas présenté à l’entretien initialement fixé au 31 juillet 2008, l’employeur avait estimé avoir un  » motif légitime  » pour le reporter au 2 septembre, le licenciement ayant été par la suite notifié le 12 septembre. Pour la Cour comme pour les juges du fond, le licenciement est notifié hors délai et est donc sans cause réelle et sérieuse, le délai tant légal (un mois) que conventionnel applicable en l’espèce (dix jours) devant, en l’absence de demande de report du salarié, être calculé à compter du 31 juillet.

Si le salarié avait sollicité le report de l’entretien, le délai légal ou conventionnel aurait couru à compter de la nouvelle date d’entretien. La Cour l’avait admis en 2006 : un salarié convoqué à un entretien préalable devant se tenir le 4 décembre 2001, avait le 3 décembre, informé son employeur de la prolongation de son arrêt maladie. Par courrier du 19 décembre, l’employeur reportait l’entretien au 28 décembre. Les juges du fond avaient condamné l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que l’employeur ayant attendu le 19 décembre pour lui adresser une nouvelle convocation, il convenait de placer le point de départ du délai d’un mois à la date fixé pour l’entretien initial. Leur décision avait été censurée par la Cour, le report de l’entretien étant motivé par l’impossibilité pour le salarié en arrêt maladie de s’y présenter et le licenciement étant par ailleurs intervenu dans le mois suivant l’entretien du 28 décembre (Soc 7/06/2006 n°04-43819).

(Cass. Soc., 23 janv. 2013, n°11-22.724)

 

Délai de prescription des faits fautifs et projet de sanction modifiant le contrat de travail

Deux principes sont à respecter lorsqu’un employeur envisage, pour des raisons disciplinaires, de modifier le contrat de travail d’un salarié.

Le premier fermement énoncé par la Cour, selon lequel en application de l’art. L.1134 C.Civ., une modification du contrat de travail, y compris à titre disciplinaire, ne peut être imposée à un salarié (Soc 16/08/1998 n°95-45033). Le second posé par l’art. L.1332-4 CT selon lequel aucun fait fautif ne peut donner lieu à poursuite disciplinaire au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance*.

En conséquence, lorsque l’employeur notifie à un salarié une sanction emportant une telle modification, il ne peut la notifier avec effet définitif mais doit l’informer de sa faculté d’accepter ou de refuser cette modification (Soc 28/04/2011 n°09-70619).

Si le salarié refuse la modification, l’employeur ne peut le licencier directement. Comment doit-il procéder ? S’il envisage de le licencier, il doit le convoquer à un nouvel entretien (Soc 15/12/2010 n°09-40336). Cet entretien doit intervenir dans le délai de prescription de deux mois, délai qui a été interrompu par le refus du salarié (Soc 28/04/2011 n°10-13979).

Tel était le cadre jurisprudentiel établi jusque-là. Mais des questions restaient en suspens Ainsi notamment du point de savoir quel était l’effet de la proposition de modification sur le délai de prescription et celui de savoir si le salarié disposait d’un certain délai pour exprimer son refus ?

La Cour de cassation vient de lever certaines zones d’ombre en prévoyant des interruptions successives du délai de prescription.

*Des règles particulières existent en cas de faits donnant lieu à poursuites pénales

(Cass. Soc., 28 avril. 2011, n°10-13.979)

 

Interruptions de la prescription de deux mois et délai de convocation à un nouvel entretien

Des règles sont en effet désormais posées par la Cour dans un arrêt du 15/01/2013 (n° 11-28109) :

–  la notification par l’employeur, après l’engagement de la procédure disciplinaire, d’une proposition de modification de contrat de travail soumise au salarié, interrompt le délai de deux mois qui court depuis la convocation à l’entretien préalable ;

–  le refus de cette proposition par le salarié interrompt à nouveau ce délai ;

–  la convocation du salarié par l’employeur à un entretien préalable en vue d’une autre sanction disciplinaire doit intervenir dans les deux mois de ce refus.

Le délai de prescription étant interrompu et non pas seulement suspendu, d’une part par la proposition de modification de contrat, et d’autre part, par le refus du salarié, c’est un nouveau délai de deux mois qui commence à courir à compter de la proposition de l’employeur puis ensuite, à compter du refus du salarié. En indiquant que le refus du salarié interrompt à nouveau le délai de prescription, on peut en conclure que le salarié doit formuler son refus dans un délai de deux mois à compter de la proposition. L’employeur sera donc avisé de mentionner ce délai dans la lettre de proposition afin de pouvoir valablement organiser une nouvelle convocation à un entretien préalable à une autre sanction. Un refus exprimé au-delà de ce délai ne lui permettrait pas en effet d’envisager de poursuivre la procédure de sanction.

Après avoir convoqué un collaborateur par lettre du 11 février 2008 à un entretien préalable à licenciement pour faute le 19 février, l’employeur lui notifie le 17 mars, une proposition de rétrogradation, en lui précisant les modalités d’acceptation ou de refus. Le 15 avril, le salarié la refuse. Le 20 mai, il est convoqué à un nouvel entretien reporté au 10 juin en raison d’un arrêt maladie. Le 18 juin, il est licencié pour faute grave. La Cour d’appel de Toulouse juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que, la convocation au premier entretien préalable ayant eu lieu le 11 février, la prescription était acquise au 11 avril à défaut d’acceptation ou de refus du salarié. Sa décision est censurée, la cour de cassation faisant produire à la proposition de modification un effet interruptif de prescription, de même qu’au refus du salarié. Le salarié ayant été convoqué le 20 mai, soit dans les deux mois de son refus, et son licenciement notifié le 18 juin, soit avant l’expiration du mois suivant l’entretien du 10 juin, la procédure était régulière.

(Cass. Soc., 15 janv. 2013, n°11-28.109)

 

Effet de la convocation à entretien sur le délai de prescription de deux mois

La règle énoncée dans la première partie de l’attendu de l’arrêt du 15/01/2013, selon laquelle un délai de deux mois court depuis la convocation n’est pas nouvelle. La Cour avait en effet déjà posé le principe d’interruption de ce délai par la convocation à l’entretien préalable (Soc 9/10/2001 n°99-41217), tout en en rappelant que l’entretien devait se dérouler avant l’expiration de ce nouveau délai non susceptible de suspension, même en cas de demande de report du salarié (Soc 9/12/2003 n°01-44501). Dans ce dernier cas, l’employeur soucieux d’accéder à la demande de report, doit adresser au salarié une nouvelle convocation, dans le délai de deux mois courant depuis la première convocation, afin que la prescription ne soit pas acquise (Soc 9/12/2003 n°01-46056).

Un constat s’impose : la gestion d’une procédure disciplinaire exige de l’employeur un suivi attentif et rigoureux.

(Cass. Soc., 9 déc. 2003, n°01-46.056)