Le fait que l’employeur se soit précédemment opposé à l’exécution d’heures supplémentaires ou que le salarié n’ait pas respecté la procédure d’autorisation préalable importe peu. Dès lors qu’il confie au salarié des tâches que celui-ci n’est pas en mesure de réaliser sur ses horaires de travail, l’employeur doit payer les heures supplémentaires effectuées. Telle est la solution pour le moins pragmatique rendue par la Cour de cassation dans deux arrêts datés du 14 novembre 2018.

En principe, la réalisation d’heures supplémentaires relève du pouvoir de direction de l’employeur. La Cour de cassation en a longtemps déduit qu’elles devaient avoir été effectuées avec l’accord, au moins implicite, de l’employeur, pour ouvrir droit à rémunération (Cass. soc., 20 mars 1980, nº 78-40.979). Mais en pratique, l’amplitude du travail à effectuer dépend des missions confiées au salarié par l’employeur. La Haute juridiction a donc par la suite affiné sa jurisprudence en considérant que les heures supplémentaires « rendues nécessaires par les tâches confiées » au salarié devaient également être rémunérées (v. Cass. soc., 8 juillet 2010, nº 09-40.932 D ; Cass. soc., 20 février 2013, nº 11-28.811 PB).

Une question demeurait toutefois en suspens : quid lorsque l’employeur a expressément interdit le recours aux heures supplémentaires ? Faut-il rémunérer les heures rendues nécessaires à l’accomplissement du travail malgré cette interdiction ? Dans deux arrêts rendus le 14 novembre dernier, la Cour de cassation répond par l’affirmative. Les heures de travail réalisées par le salarié et rendues nécessaires par les tâches qui lui ont été confiées doivent toujours lui être rémunérées.

Interdiction d’effectuer des heures supplémentaires sans autorisation

En brossant les faits à grands traits, dans la première affaire (nº 17-16.959), le salarié était contractuellement tenu de solliciter l’autorisation de l’employeur avant d’effectuer des heures supplémentaires. Il ne l’a pas fait. L’employeur lui en a donc refusé le paiement.

Dans la seconde affaire (nº 17-20.659), cette obligation d’autorisation n’avait pas été contractualisée. Toutefois, l’employeur s’était déjà opposé à plusieurs reprises à l’accomplissement d’heures supplémentaires par le salarié. D’où son refus de les payer par la suite. En résumé, dans l’un comme dans l’autre cas, l’accord de l’employeur faisait défaut. Les deux salariés ont pourtant pris acte de la rupture de leur contrat de travail, du fait notamment du non-paiement de leurs heures supplémentaires.

À deux affaires, deux solutions. Les deux cours d’appel saisies n’ont pas statué dans le même sens. Dans le premier cas (nº 17-16.959), la Cour d’appel d’Orléans a fait droit aux demandes du salarié étant donné que « la réalisation de nouvelles heures supplémentaires avait été rendue nécessaire par les tâches confiées à l’intéressé », et ce « peu important l’absence d’autorisation préalable de l’employeur ». En revanche, dans le second cas (nº 17-20.659), la Cour d’appel de Paris a débouté le salarié au motif qu’il « n’avait pas à placer l’employeur devant le fait accompli ». Validant la première décision, la Haute juridiction a, quant à elle, opté pour une solution s’inscrivant dans la droite ligne de sa jurisprudence.

Deux conditions alternatives au paiement des heures supplémentaires

La Cour de cassation pose le principe suivant : « le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées » (nº 17-16.959).

En clair, il existe deux conditions alternatives, et non cumulatives, au paiement des heures supplémentaires :

– soit l’accomplissement de ces heures a été sollicité ou validé par l’employeur, de manière expresse ou implicite ;

– soit la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches confiées au salarié.

A priori, rien de nouveau. Mais jusqu’à présent, le caractère alternatif de ces deux conditions n’avait pas été explicitement affirmé. C’est probablement pourquoi, dans la seconde affaire (nº 17-20.659), la Cour d’appel de Paris avait subordonné le paiement des heures réalisées en raison de l’ampleur du travail demandé à l’accord implicite de l’employeur. Pour elle, l’employeur s’étant expressément opposé à ce que le salarié effectue des heures supplémentaires, la condition préalable faisait défaut. Et ce constat suffisait à débouter le salarié. Mais la Cour de cassation ne raisonne pas ainsi. Elle casse l’arrêt d’appel pour défaut de base légale. Les juges du fond n’auraient pas dû s’en tenir à l’opposition de l’employeur selon elle. Encore fallait-il vérifier que le salarié ne justifiait pas de la nécessité de dépasser ses horaires pour faire face au volume de travail. Autorisation de l’employeur ou non, opposition de l’employeur ou non, les heures effectuées afin de mener ses missions à bien doivent être payées, tranche-t-elle.

Pragmatisme de la Cour de cassation

On le sait, la fourniture du travail relève du pouvoir de direction de l’employeur. C’est même l’une de ses obligations principales. Ainsi, il est indéniable que lorsque le salarié a une charge de travail trop importante pour qu’il puisse en venir à bout sur ses horaires, l’employeur n’y est pas étranger. Le raisonnement suivant lequel il pourrait malgré cela refuser de payer les heures effectuées au-delà de l’horaire légal peine à convaincre.

C’est pourquoi la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme dans ce domaine. Lorsqu’il « ne justifie pas de la nécessité de dépasser les horaires contractuels en dépit de l’interdiction de l’employeur », le salarié n’est pas admis à solliciter la rémunération de ses heures supplémentaires (Cass. soc., 15 juin 2016, nº 15-10.117 D). Et, a contrario, dès lors que le salarié doit réaliser des heures supplémentaires pour effectuer les tâches qui lui ont été confiées, il a droit au paiement desdites heures malgré l’opposition manifestée par l’employeur. Comme le rappelle l’un des deux arrêts (nº 17-16.959), le caractère nécessaire du dépassement d’horaires relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. En l’espèce, le fait que l’employeur ait déjà accepté de régler des heures supplémentaires sur une période antérieure et que « la charge de travail ait été maintenue puis accrue sur la période postérieure » permettait d’établir que les nouvelles heures supplémentaires avaient été rendues nécessaires par les tâches confiées.

Le message est clair : dès lors qu’un salarié est contraint d’effectuer des heures supplémentaires, que ce soit par nécessité ou sur demande de l’employeur, il faut les lui rémunérer.

Le risque est donc grand si le salarié peut prouver la réalisation des heures litigieuses.

Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 1652 du 14 novembre 2018, Pourvoi nº 17-20.659

Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 1648 du 14 novembre 2018, Pourvoi nº 17-16.959