En l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du Code du travail.
Ø Les faits
Mme Z… a été engagée en qualité d’agent administratif et commercial le 10 juin 2011. Les parties ont signé une convention de rupture du contrat de travail le 28 avril 2014.
Ø Les demandes et argumentations
La salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en nullité de la rupture conventionnelle. Pour faire droit à cette demande, la Cour d’appel de Bastia a retenu qu’un salarié peut obtenir l’annulation de la rupture de son contrat de travail dès lors qu’il établit qu’elle est intervenue dans un contexte de harcèlement moral, sans avoir à prouver un vice du consentement. En l’espèce, la salariée n’invoquait certes aucun vice du consentement mais le harcèlement moral étant constitué, il convenait de constater la nullité de la rupture conventionnelle.
Dans son pourvoi, l’employait invoquait le fait que l’existence d’un contexte de harcèlement moral ne fait pas obstacle à la conclusion d’une rupture conventionnelle homologuée dès lors que le consentement du salarié n’est pas vicié.
Ø La décision, son analyse et sa portée
• Harcèlement moral et rupture conventionnelle ne sont pas incompatibles
Le salarié harcelé moralement peut-il conclure une rupture conventionnelle homologuée avec son employeur ? Un doute pouvait naître à la lecture d’un arrêt rendu le 30 janvier 2013, par lequel la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi de l’employeur contestant l’annulation de la rupture conventionnelle, au motif que « la cour d’appel a souverainement estimé que la salariée était au moment de la signature de l’acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral dont elle a constaté l’existence et des troubles psychologiques qui en sont résultés » (Cass. soc., 30 janv. 2013, n° 11-22.332). Publiée au bulletin, cette décision pouvait donner l’impression aux commentateurs qu’il pouvait être admis que l’existence d’une situation de harcèlement moral lors de la signature de la convention traduit en soi un état de violence moral, incompatible avec les exigences de l’article L. 1237-11 du Code du travail faisant de la liberté du consentement la pierre angulaire de ce mode de rupture. Une lecture attentive de l’arrêt révélait cependant l’importance accordée aux circonstances d’espèce, lesquelles relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Ainsi, si la convention de rupture a été annulée dans cette affaire, c’est parce que la cour d’appel a constaté, au regard des faits du litige, une situation de violence morale découlant du harcèlement moral avéré. Mais ce lien de cause à conséquence n’est pas systématique : dans certains cas, le harcèlement moral pourrait ne pas se traduire par un état de violence morale, ni par aucun vice du consentement au moment de la signature de la convention.
« L’arrêt du 23 janvier formalise cette analyse pragmatique mais sujette à discussion au regard du texte de l’article L. 1152-3 du Code du travail ».
L’arrêt du 23 janvier 2019 formalise cette analyse pragmatique (mais sujette à discussion au regard du texte de l’article L. 1152-3 du Code du travail, voir ci-après), ce qui conduit à la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Bastia par une motivation didactique : l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du Code du travail ; la nullité de la convention de rupture ne peut résulter que du constat d’un consentement vicié.
Devant la Cour de renvoi, la salariée sera donc tenue de prouver le vice du consentement dont elle a été victime. Elle devra établir, comme dans l’arrêt du 30 janvier 2013, qu’au moment de donner son accord, son consentement était vicié. Il n’est ni nécessaire ni suffisant de prouver la réalité du harcèlement moral antérieur ou concomitant à l’accord de rupture, c’est le vice du consentement qu’il convient de démontrer. Il s’agit là d’une question de fait dont seul le juge du fond est appelé à se saisir. À défaut par le demandeur de rapporter la preuve par tout moyen du vice, la convention de rupture sera valable.
Pour autant, en pratique, si un salarié établit que la signature de la convention de rupture s’est faite dans un contexte de harcèlement moral, ses chances d’obtenir la nullité de celle-ci devraient être plus élevées car le lien avec un vice du consentement devrait plus aisément s’opérer. Jugé ainsi « qu’ayant retenu que la salariée avait connu un épisode de harcèlement moral propre à l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle, la cour d’appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision » (Cass. soc., 28 janv. 2016, n° 14-10.308). En toute rigueur cependant, le juge du fond devra s’appliquer à motiver la décision d’annulation de la rupture conventionnelle sur le terrain du vice du consentement et non pas sur celui du harcèlement.
Côté employeur, conclure une rupture conventionnelle avec un salarié victime de harcèlement moral est donc un choix très délicat. Toutes les précautions devront être prises en amont pour garantir la liberté de consentement du salarié. En particulier, l’employeur pourrait multiplier les entretiens menant à la signature de la convention et s’assurer que le salarié y est représenté. Au préalable, il est indispensable de vérifier que l’état psychologique du salarié ne fait pas obstacle à la conclusion de la convention de rupture et qu’il rompt le contrat hors de toute contrainte extérieure, l’employeur pouvant rassembler des éléments objectifs en ce sens (attestations médicales par exemple). Plus largement et de manière évidente, les circonstances entourant la conclusion de l’accord de rupture ne doivent pas se situer elles-mêmes dans un contexte harcelant. Idéalement, il faudrait s’assurer que, toutes choses égales par ailleurs, le salarié aurait conclu la rupture même s’il n’avait pas été harcelé. Démonstration peu aisée…
• Absence de cause réelle et sérieuse ou effets d’un licenciement nul ?
Quels sont les effets de la nullité de la rupture conventionnelle si celle-ci résulte d’un vice du consentement trouvant son origine dans un contexte de harcèlement moral ? À notre connaissance, la Cour de cassation n’a pas encore été appelée à se prononcer. Plutôt que de produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse comme c’est habituellement le cas, l’invalidité de la convention de rupture pourrait-elle produire les effets d’un licenciement nul ? L’article L. 1152-3 du Code du travail affirme que « toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ». Ainsi, la résiliation judiciaire d’un contrat de travail en raison d’un harcèlement moral produit les effets d’un licenciement nul (Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 11-26.560). La rupture conventionnelle est-elle intervenue en raison des faits de harcèlement moral ? Si la réponse est positive, la rupture, dès lors qu’elle est annulée en raison d’un vice du consentement, devrait produire les effets d’un licenciement nul.
« Si la réponse est positive, la rupture, dès lors qu’elle est annulée en raison d’un vice du consentement, devrait produire les effets d’un licenciement nul ».
Dans cette hypothèse, l’intérêt pour le salarié de caractériser le harcèlement moral deviendrait alors encore plus évident. Tandis que le vice du consentement serait nécessaire au prononcé de la nullité de la convention de rupture, la caractérisation du harcèlement moral à l’origine de ce vice servirait à soutenir le fait que l’accord de rupture produit les effets d’un licenciement nul. La charge de la preuve diffère dans l’un et l’autre cas. La preuve du vice du consentement, on l’a dit, incombe au salarié. Celle du harcèlement moral obéit au cadre posé par l’article L. 1154-1 du Code du travail : le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Harcèlement moral et rupture conventionnelle homologuée : possible, mais risqué !
TEXTE DE L’ARRÊT
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
la société Cordirom, société par actions simplifiée, dont le siège est zone industrielle de Baleone, […],
M. Jean-Pierre Y…, domicilié 22 cours Napoléon, […], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Cordirom,
I…, domicilié 14 rue du Viaduc, […], agissant en qualité d’administrateur judiciaire de la société Cordirom, contre l’arrêt rendu le 17 mai 2017 par la cour d’appel de Bastia (chambre sociale), dans le litige les opposant à H…, domiciliée chemin d’Acqualonga, […], défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l’, en l’audience publique du 11 décembre 2018, où étaient présents : M. Cathala, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, conseillers, Mme salomon, MM. silhol, Duval, conseillers référendaires, Mme Courcol-Bouchard, premier avocat général, Mme Becker, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Cordirom et de MM. Y… et I…, ès qualités, l’avis de K…, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Vu les , L. 1152-1 et L. 1152-3 du code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que H… a été engagée par la société Cordirom en qualité d’agent administratif et commercial le 10 juin 2011 ; que les parties ont signé une convention de rupture du contrat de travail le 28 avril 2014 ; que la salariée a saisi la juridiction prud’homale ;
Attendu que pour déclarer nulle la rupture conventionnelle, l’arrêt retient qu’un salarié peut obtenir l’annulation de la rupture de son contrat de travail dès lors qu’il établit qu’elle est intervenue dans un contexte de harcèlement moral, sans avoir à prouver un vice du consentement, que la salariée n’invoque en l’espèce aucun vice du consentement mais que, le harcèlement moral étant constitué, il convient de constater la nullité de la rupture conventionnelle ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 mai 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bastia, autrement composée ;
Condamne H… aux dépens ;
Vu l’, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. Cathala, président et par Mme Piquot, greffier de chambre présente lors de la mise à disposition de l’arrêt le vingt-trois janvier deux mille dix-neuf.
Jean-Philippe Lhernould, Professeur de droit privé, faculté de droit et des sciences sociales, Université de Poitiers
[Cass. soc., 23 janv. 2019, pourvoi n° 17-21.550, arrêt n° 92 FS-P+B]