Appelée à se prononcer sur les conditions de validité de la rémunération variable, la Cour de cassation revient sur une condition posée avec force dans des décisions antérieures : une clause contractuelle de variabilité de la rémunération ne peut être fondée que sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur. Cette appréciation doit être faite in concreto.
Les faits
Un salarié est engagé en janvier 2018, d’abord en qualité d’expert estimateur débutant, puis d’expert estimateur. En mars 2014, il saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail puis il est licencié pour faute grave en avril 2014.
Parmi d’autres demandes, le salarié contestait les modalités de fixation de sa rémunération variable. Le contrat de travail prévoyait une rémunération « fondée sur un intéressement sur les estimations à hauteur de 20 % » des honoraires encaissés sur les affaires personnellement traitées. Il contestait également le fait que les honoraires servant de base à cet intéressement « sont ceux retenus pour l’établissement du compte d’exploitation de la Direction Générale » à laquelle le salarié était rattaché. De plus, le salarié ne pouvait pas négocier ou conclure un contrat de prestation auprès des clients, ni en fixer le prix. Or, le montant du contrat retenu par l’employeur pouvait varier d’un client à l’autre, ce qui réduisait le montant de la rémunération variable. Par conséquent, le montant des honoraires dus pour chaque prestation était au final fixé par le seul employeur. Les conditions de fixation de la rémunération variable seraient donc illicites au motif qu’elles ne seraient pas déterminées en fonction d’un élément objectif indépendant de la volonté de l’employeur dont elles dépendraient exclusivement.
La cour d’appel le déboute de sa demande, retenant que la fixation de la partie variable de la rémunération du salarié ne résulte pas uniquement de la volonté de l’employeur mais d’un ensemble de facteurs et contraintes économiques et commerciaux (nature du dossier, prix du marché, enjeux économiques, nécessité de rentabilité) et qu’il appartient à la société d’adopter des solutions de bonne gestion permettant de réguler l’activité de ses collaborateurs et leur rémunération en répartissant les missions qui leur sont confiées selon l’ampleur des tâches et le caractère lucratif variable de chaque dossier.
La décision, son analyse et sa portée
L’arrêt est cassé pour violation de l’article 1134 du Code civil alors applicable (actuel article 1103 du Code civil) : la cour d’appel ne pouvait ainsi se prononcer « alors qu’elle constatait que les honoraires servant de base de calcul à la rémunération variable étaient ceux qui étaient retenus par la direction générale à laquelle était rattaché le salarié pour l’établissement du compte d’exploitation, ce dont il résultait que la variation de la rémunération dépendait de la seule volonté de l’employeur ».
Cette solution est dans le prolongement de la jurisprudence antérieure qu’elle vient préciser. Sa portée sur la demande de résiliation judiciaire n’est cependant pas exposée.
- Un arrêt dans le prolongement de la jurisprudence antérieure
La Cour de cassation a par le passé clarifié les conditions de validité de la clause de rémunération variable. La difficulté propre à ce type de clause est qu’elle est insérée dans le contrat de travail a priori mais qu’elle est mise en œuvre en tenant compte d’éléments variables qui ne sont déterminés qu’ultérieurement. Le risque, dès lors, est que l’employeur impose unilatéralement des critères et ait la maitrise de cette rémunération. Aussi la Cour de cassation impose-t-elle le cumul de trois conditions de validité de la clause.
D’abord, la variation de la rémunération doit être fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur (Cass. soc., 17 oct. 2007, n° 05-44.621 : « une clause contractuelle de variabilité de la rémunération ne peut être fondée que sur des éléments objectifs indépendants de sa volonté »). Ensuite, elle ne doit pas faire peser le risque de l’entreprise sur le salarié. Enfin, elle ne doit pas avoir pour effet de réduire la rémunération en deçà des minima légaux et conventionnels (Cass. soc., 2 juill. 2002, n° 00-13.111 : « une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu’elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en-dessous des minima légaux et conventionnels » ; Cass. soc., 4 mars 2003, n° 01-41.864 : « une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu’elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne fait pas porter le risque d’entreprise sur le salarié et n’a pas pour effet de réduire la rémunération en-dessous des minima légaux et conventionnels ; Et attendu que la cour d’appel, qui a constaté que la valeur du point avait un caractère variable et que sa variation dépendait d’éléments objectifs étrangers à la volonté de l’employeur, a légalement justifié sa décision »). Dans l’arrêt rendu en 2002, la Cour de cassation avait par exemple admis une baisse de la rémunération variable car « une partie de la rémunération du salarié était constituée par un pourcentage sur le chiffre d’affaires de la société et que ce dernier avait baissé pour des motifs indépendants de la volonté de l’employeur ».
À défaut de remplir l’une de ces conditions, la clause est nulle – avec la précision importante que la nullité doit être invoquée devant les juges du fond et non pour la première fois en cassation (Cass. soc., 9 juill. 2014, n° 13-11.756). Si les critères choisis sont illicites, le juge peut fixer le montant de la rémunération variable en fonction des « critères visés au contrat et des accords conclu les années précédentes » (Cass. soc., 22 mai 1995, n° 91-41.584 ; Cass. soc., 20 oct. 1998, n° 96-40.908 ; en fonction « des règles convenues pour les années précédentes », Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-43.778 ; Cass. soc., 3 avr. 2019, n° 13-21.338).
- Une précision complémentaire
L’arrêt rendu le 9 mai 2019 ne fait que mettre en œuvre cette ligne jurisprudentielle. La Cour de cassation considère en effet que la variation de la rémunération dépendait de la seule volonté de l’employeur dès lors que les honoraires servant de base de calcul sont ceux retenus par la direction générale.
« Aucune automaticité ne semble plus possible même en cas de constatation d’un manquement grave ».
Cass. soc. 9 mai 2019, pourvoi n° 17-27.448, arrêt n° 737 FS-P+B