Les agents de contrôle de l’Inspection du travail (ACIT) disposent de prérogatives élargies, tant pour sanctionner les employeurs en cas de manquements à la législation du travail et aux dispositions conventionnelles, que pour réaliser leurs opérations de contrôle et d’enquête auprès des entreprises.  Il est important pour le chef d’entreprise ou d’établissement de bien connaître les droits et devoirs à l’égard des agents.

Le thème de l’hygiène, de la santé et de la sécurité au travail constitue un domaine privilégié d’intervention, pour lesquels les agents disposent de pouvoirs d’information très larges.

 

1°) Quels documents peut demander l’agent de contrôle concernant la santé-sécurité au travail ?

 

Tout d’abord l’Inspection du travail dispose de nombreux éléments d’information au titre des documents dont la transmission par l’employeur est obligatoire (ex : règlement intérieur et notes de service ; rapport d’enquête en cas d’ATMP grave ou d’incident répété révélant un risque grave ; etc.).

Des contrôles sur pièces peuvent ainsi être aisément réalisés à distance, sans intervention dans l’entreprise.

Ensuite, à l’occasion d’une visite d’inspection – généralement inopinée – l’agent de contrôle peut demander à se faire présenter :

  • De manière générale, l’ensemble des livres, registres et documents rendus obligatoires par le Code du travail ou une loi relative au régime du travail (cf. dispositions générales de l’article L8113-4 du Code du travail). Il n’est pas compétent en revanche pour solliciter des documents étrangers à ce domaine (cf. C. Trav., L8112-1 s).

Citons ici par exemple les documents tels que le registre unique du personnel, le document unique d’évaluation des risques, le plan de prévention lorsque sa mise en place est obligatoire, les avis d’inaptitude, etc.

Par mesure de substitution à la documentation papier, certains registres peuvent être tenus sur support dématérialisé à condition que des garanties de contrôle équivalentes soient prévues et qu’il soit conçu et tenu de façon à contenir toutes les mentions obligatoires, sans difficulté d’utilisation et de compréhension et sans risque d’altération (C. Trav., L8113-6 et R8113-2). Le CHSCT doit le cas échéant être préalablement informé et consulté sur la mise en place d’un tel support (C. Trav., L4612-14).

Des dispositions spéciales sont par ailleurs prévues en matière de santé et sécurité au travail pour permettre l’accès des agents de contrôle à toutes les attestations, consignes, résultats et rapports relatifs aux vérifications et contrôles mis à la charge de l’employeur, ainsi qu’aux observations et mises en demeure notifiées à l’employeur dans ce domaine (C. Trav., L4711-1 s. et D4711-1 s.). Certaines de ces informations peuvent être éventuellement regroupées dans un registre unique dès lors que cette mesure est de nature à faciliter la conservation et la consultation de ces informations (C. Trav., L4711-5).

  • Par ailleurs, les documents que les textes imposent de tenir à disposition de l’Inspecteur du travail au sein de l’entreprise (ex : documents de comptabilisation individuelle du temps de travail ; PV de réunions du CHSCT ; etc.).

 

Il est important de préciser qu’en matière de santé et de sécurité au travail notamment, ce droit d’accès des agents de contrôle de l’Inspection du travail ne se limite plus à ces documents de tenue obligatoires.

Depuis le 1er juillet 2016, en effet, ils peuvent se faire communiquer –sous-entendu à tout moment-, tout document ou tout élément d’information, quel qu’en soit le support, utile à la constatation de faits susceptibles de vérifier le respect de l’application des dispositions de la quatrième partie du Code du travail relative à la santé et la sécurité au travail (C. Trav., L8113-5).

Cette obligation va ainsi au-delà des seuls éléments documentaires (ex : documentation sur des produits utilisés ; synthèse d’arbre des causes ; etc.), puisqu’elle porte aussi sur tout élément d’information jugé utile par l’agent.

Ce critère d’utilité relève ici de l’appréciation de l’agent de contrôle, et il sera toujours déconseillé de s’opposer à une communication au motif que l’information demandée serait non pertinente ou confidentielle (sachant que l’agent de contrôle est tenu à une obligation de discrétion et même de secret professionnel concernant les secrets de fabrication et les procédés d’exploitation dont ils ont connaissance dans le cadre de ses fonctions – cf. C. Trav., R8124-22 s. ; https://www.preventica.com/actu-chronique-code-deontologie-service-public-inspection-travail.php).

Telle que cette disposition est libellée, elle ouvre toutefois la porte à ce qu’un agent, territorialement compétent pour contrôler plusieurs entreprises, sollicite indirectement auprès d’une entreprise A des informations documentaires susceptibles de concerner le respect de la législation par une autre entreprise B (ex : intervention d’entreprises extérieures en coactivité, etc.). Hormis le cas de la recherche d’infractions de travail illégal pour lequel les agents disposent de larges pouvoirs (cf. C. Trav., L8271-1 s.), la légalité d’une telle pratique et de l’obligation pour l’employeur interrogé de fournir les informations alors qu’il n’est pas directement contrôlé, pourrait certainement se poser.

 

2°) L’agent peut-il emporter et conserver par devers lui des documents de l’entreprise ?

 

Le droit international reconnaît à l’agent de contrôle un droit de copie : l’Inspecteur du travail est autorisé « à demander communication de tous livres, registres et documents dont la tenue est prescrite par la législation relative aux conditions de travail, en vue d’en vérifier la conformité avec les dispositions légales et de les copier ou d’en établir des extraits » (cf. Convention OIT n° 81, art. 12).

A contrario, ce droit de présentation ou de communication n’autorise pas l’agent à emporter avec lui des documents originaux, qui restent normalement la propriété de l’entreprise (ils peuvent en revanche faire l’objet d’une saisie dans le cadre d’une enquête pénale).

Généralement, la discussion permettra au cas par cas de définir avec l’agent de contrôle les modalités pratique de communication (ex : transmission de copie par voie dématérialisée).

 

3°) Quelles mesures faut-il prévoir ?

 

Le chef d’entreprise doit veiller à prévoir des règles d’organisation et des procédures internes et consignes de manière :

  • à conserver ces documents pendant la durée minimale prévue par les textes réglementaires, variable selon le type de document (il sera toutefois souvent conseillé de conserver ces documents au-delà compte tenu des délais de prescription des actions en justice, notamment en cas d’ATMP) ;
  • à permettre cet accès sans entraves, notamment en cas d’absence du chef d’entreprise ou d’établissement (en particulier, l’agent chargé du contrôle d’un établissement ne peut se voir opposer de refus au motif que les documents de l’établissement seraient uniquement conservés au siège social situé en-dehors de son ressort de compétente) ;
  • à pouvoir justifier d’éventuelles difficultés matérielles objectives (force majeure, etc.) en cas d’incident ou de retard de communication.

Le fait de ne pas être en mesure de communiquer des documents demandés est toujours un indice susceptible d’amener l’agent à approfondir son contrôle, voir à considérer qu’il est entravé dans sa mission.

En tout état de cause, le simple constat d’absence de tenue formelle d’un document obligatoire peut conduire à l’établissement d’un procès-verbal d’infraction (même si l’agent dispose d’un pouvoir d’appréciation des suites à donner à ses constatations et peut se limiter à un courrier d’observations, à titre pédagogique).

 

4°) Quels sont les risques en cas d’incident de communication ?

 

Attention, car toute obstruction peut être perçue comme une volonté d’entraver la mission de contrôle, et conduire à un procès-verbal d’infraction, pour délit d’obstacle (C. Trav., L8114-1).

Le chef d’entreprise n’est d’ailleurs pas le seul visé, puisque toute personne peut être poursuivie à ce titre.

Celui-ci est plus sévèrement réprimé par les textes depuis l’ordonnance n° 2016- du 7 avril 2016, l’auteur personne physique étant désormais passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 1 an et/ ou d’une amende de 37.500 euros au maximum (soit 10 fois plus qu’auparavant).

Cette sévérité renforcée est confirmée par les orientations de la politique de répression pénale : selon les nouvelles directives ministérielles, le délit d’obstacle est considéré comme une atteinte grave à l’ordre public pour laquelle l’engagement de poursuites pénales est privilégié.

En cas de poursuites, les tribunaux font également preuve de sévérité ; ainsi, dans une affaire récente (cf. Cass. Crim. 25 avril 2017, n° 16-81793), deux dirigeants d’une entreprise ont été condamnés pour le fait d’avoir, selon l’analyse des juges, dissimulé des informations relatives à la durée du travail des salariés lors du contrôle et d’avoir volontairement fourni des informations incomplètes à la suite du contrôle.

Pour les juges, cette dissimulation d’informations par l’employeur a précisément eu pour effet d’empêcher le constat d’une infraction ; dès lors le fait qu’aucune infraction de travail dissimulé n’ait été constatée n’était pas de nature à écarter la caractérisation d’un obstacle à l’accomplissement des fonctions de l’agent de contrôle.

À cette occasion, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise plus généralement que « (…)  constituent un obstacle à l’exercice des fonctions de l’inspecteur du travail, sans porter atteinte au droit à ne pas s’auto-incriminer de l’employeur, d’une part, le défaut, par ce dernier, de représentation des documents permettant de vérifier le temps de travail effectif des salariés au sein de l’entreprise, dont la tenue, prévue par la loi, répond à l’objectif d’intérêt général de protection des salariés, d’autre part, en cas de mentions insuffisantes ou irrégulières dans les documents présentés, son abstention de fournir les informations qui lui sont demandées ».

Le caractère intentionnel de l’infraction (c’est-à-dire la volonté de faire obstacle) est généralement déduit à partir des faits matériels, qui peuvent consister en des actes positifs aussi bien que des abstentions, ce qui tend à en faire une infraction quasi « matérielle ».

Or, l’agent de contrôle est ici d’une certaine manière « juge et partie » puisqu’il constate un comportement dont il s’estime victime. Or, son procès-verbal fait foi jusqu’à preuve du contraire concernant les constatations qu’il a pu faire personnellement (C. Trav., L8113-7).

Il est donc capital pour la personne mise en cause de pouvoir prouver (par tous moyens) qu’elle n’a pas délibérément refusé de communiquer le document ou l’information demandée.