Le contrôle du nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que le suivi de la charge de travail et de l’amplitude des journées d’activité, doivent être réel. La jurisprudence récente donne quelques pistes pour y parvenir.

Ø Les faits

Le contrat de travail d’une salariée prévoit un forfait en jours, étant précisé que l’intéressée, responsable commerciale, appartient à la catégorie de cadre pouvant relever d’un forfait-jours tel que défini par un avenant spécifique à la métallurgie. Il est prévu que son temps de travail sera calculé en nombre de jours, à savoir 218 jours.

La salariée assigne son employeur en justice afin d’obtenir le paiement d’heures supplémentaires et d’une indemnité pour travail dissimulé et afin de voir reconnaître la violation des règles relatives à la durée légale du travail.

Ø Les demandes et argumentations

À l’appui de sa demande, la salariée soutient qu’elle n’a jamais bénéficié d’un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique au sujet de sa charge de travail, contrairement à ce qu’imposent les principes applicables en matière de forfaits-jours.

Si des entretiens annuels avaient bien eu lieu au sujet de son travail et de ses objectifs, ils n’avaient pas réellement pour objet, selon elle, d’évoquer et de contrôler sa charge de travail et l’amplitude de ses journées d’activité et de s’assurer que cette amplitude et cette charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition du travail dans le temps.

En appel, sa demande est rejetée au regard d’une attestation par laquelle son supérieur hiérarchique certifie avoir eu chaque année un entretien avec elle à propos de son travail et ses objectifs ; cette attestation n’ayant pas fait l’objet d’une inscription pour faux, la cour d’appel saisie du litige la tient pour acquise, les propos de son supérieur direct étant en outre corroboré par des courriels invitant la salariée à différents entretiens.

Ø La décision, son analyse et sa portée

Les juges d’appel ont été désavoués. Pour la Cour de cassation, « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si un contrôle du nombre de journées ou demi-journées travaillées avait été effectué et si au cours de l’entretien annuel avaient été évoquées l’organisation et la charge de travail de la salariée ainsi que l’amplitude de ses journées d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

• Des exigences de contrôle de la charge de travail de plus en plus poussées

Par un arrêt considéré comme « fondateur », la Cour de cassation a édicté que « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires » (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107, JSL, 29 juill. 2011, n° 304-2).

Depuis, la Haute Juridiction veille à ce que cette exigence, destinée à assurer la santé des salariés en forfait jours, ne reste pas à l’état de vœu pieux.

Ainsi a-t-elle considéré que des dispositions qui se bornent à prévoir que le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et l’amplitude de ses journées d’activité, que cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés, ainsi que l’instauration d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées et la qualification des journées non travaillées par voie d’un calendrier mensuel à remplir par le salarié lui-même, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié (Cass. soc., 9 nov. 2016, n° 15-15.064, JSL, 21 déc. 2016, n° 421/422-5, à propos de la Convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile).

De la même façon, est nulle une convention de forfait conclue sur la base d’un accord collectif qui se limite à prévoir, en premier lieu, que le nombre de journées ou de demi-journées de travail sera comptabilisé sur un document établi à la fin de l’année par le salarié concerné et précisant le nombre de journées ou de demi-journées de repos pris, et, en second lieu, qu’il appartient aux salariés de respecter les dispositions impératives ayant trait au repos quotidien et au repos hebdomadaire, l’entreprise devant veiller au respect de ces obligations.

Et ce d’autant plus si l’accord applicable se borne à prévoir qu’un suivi du temps de travail sera effectué sur une base annuelle et que, « autant que faire se peut », la direction cherchera à faire un point chaque trimestre et à attirer l’attention des collaborateurs dont le suivi présente un solde créditeur ou débiteur trop important afin qu’ils fassent en sorte de régulariser la situation au cours du trimestre suivant.

En effet, ces prescriptions, en ne permettant pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition du travail dans le temps (Cass. soc., 8 nov. 2017, n° 15-22.758, JSL, 4 janv. 2018, n° 445-14, Convention collective des cabinets d’avocats).

On peut encore citer un arrêt récent, qui dit qu’il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours, et que s’il n’est pas établi que le salarié a été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail, cette convention de forfait en est sans effet. Le salarié est alors en droit de solliciter le règlement d’heures supplémentaires. Et cela même si l’employeur fait valoir que l’amplitude et la charge de travail des salariés en forfait jours sont appréciées tous les mois au moyen de la remise d’un bordereau de décompte des journées travaillées par le salarié, et à la fin de chaque quadrimestre dans le cadre d’un entretien en cas d’absence de prise de jours de repos par le salarié (Cass. soc., 19 déc. 2018, n° 17-18.725, JSL, 25 févr. 2019, n° 470-4).

• Comment l’employeur peut-il assurer un contrôle effectif de la charge de travail des salariés en forfaits jours ?

Il y a peu, la Cour de cassation avait admis qu’un relevé déclaratif signé par le supérieur hiérarchique et validé par le service de ressources humaines, assorti d’un dispositif d’alerte de la hiérarchie en cas de difficulté, avec possibilité de demande d’entretien auprès du service de ressources humaines répondait aux exigences relatives au droit à la santé et au repos, et assurait la garantie du respect des repos, journalier et hebdomadaire, ainsi que des durées maximales raisonnables de travail en organisant le suivi et le contrôle de la charge de travail selon une périodicité mensuelle (Cass. soc., 8 sept. 2016, n° 14-26.256, JSL, 24 oct. 2016, n° 418-3).

Un arrêt postérieur a donné un mode d’emploi encore plus strict : pour répondre aux exigences relatives au droit à la santé et au repos, un accord peut prévoir que les salariés en forfait jours sont tenus de déclarer régulièrement le nombre de jours ou de demi-journées travaillées ainsi que le nombre de jours ou de demi-journées de repos et qu’une consolidation est effectuée pour contrôler leur durée de travail : ensuite, au cours de l’entretien annuel d’appréciation, le salarié examine avec son supérieur hiérarchique la situation du nombre de jours d’activité au cours de l’exercice précédent au regard du nombre théorique de jours de travail à réaliser, les modalités de l’organisation, de la charge de travail et de l’amplitude de ses journées d’activité, la fréquence des semaines dont la charge a pu apparaître comme atypique. Puis des mesures propres à corriger cette situation sont arrêtées d’un commun accord et s’il s’avère que l’intéressé n’est pas en mesure d’exercer ses droits à repos, des moyens permettant de remédier à cette situation doivent être pris au moyen d’une concertation entre le salarié et son manager (Cass. soc., 22 juin 2017, n° 16-11.762).

Ce qu’il faut retenir de ces arrêts, c’est que la mise en œuvre d’un forfait-jours doit faire l’objet d’un suivi régulier par l’employeur, ce dernier devant veiller à ce que la charge de travail des salariés ne soit pas excessive.

Le Code du travail exige d’ailleurs que l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail est raisonnable et permet une bonne répartition du travail dans le temps (C. trav., art. L. 3121-60).

TEXTE DE L’ARRÊT (EXTRAITS)

[…] Mais sur le troisième moyen :

Vu dans sa rédaction antérieure à la loi no 2016-1088 du 8 août 2016, ensemble l’article 14 de l’accord du 28 juillet 1998 étendu sur l’organisation du travail dans la métallurgie ;

Attendu que, pour rejeter la demande de la salariée en paiement de certaines sommes à titre d’heures supplémentaires, de repos compensateurs, des congés payés afférents, et au titre d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient que l’attestation par laquelle son supérieur hiérarchique atteste avoir eu chaque année un entretien avec l’intéressée concernant son travail et ses objectifs n’ayant pas fait l’objet d’une inscription pour faux, la cour la tient pour acquise aux débats, d’autant que le propos de son supérieur direct est corroboré par des courriels invitant la salariée à ces différents entretiens ;

Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si un contrôle du nombre de journées ou demi-journées travaillées avait été effectué et si au cours de l’entretien annuel avaient été évoquées l’organisation et la charge de travail de la salariée ainsi que l’amplitude de ses journées d’activité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute Z… des demandes formées au titre des heures supplémentaires, des repos compensateurs, des congés payés afférents, et au titre d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 15 juin 2017, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille dix-neuf.

[Cass. soc., 23 janv. 2019, pourvoi n° 17-22.148, arrêt n° 99 F-D]