La rupture d’un contrat à durée déterminée arrivé à son terme est nulle si le contrat est ultérieurement requalifié à durée indéterminée et que la rupture, s’analysant en un licenciement, est intervenue durant une période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail.

Soc. 14 nov. 2018, FS-P+B, n° 17-18.891

Le non-respect des conditions de recours au contrat à durée déterminée n’est pas sans risque pour l’employeur qui s’expose à une requalification en contrat de travail à durée indéterminée.

Les effets précis de cette requalification ont donné lieu à un abondant contentieux. L’une des questions essentielles concernait la date à compter de laquelle le contrat est réputé à durée indéterminée au sens de l’article L. 1245-1 du code du travail. La Cour de cassation a répondu qu’en cas de requalification, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le premier contrat à durée déterminée irrégulier conclu (Soc. 3 mai 2016, n° 15-12.256 P, Dalloz actualité, 19 mai 2016, obs. M. Roussel ; D. 2016. 1004 ; ibid. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2016. 477, obs. S. Tournaux ; 8 nov. 2017, n° 16-17.499, Dalloz jurisprudence), jusqu’à la date de rupture définitive des relations de travail, peu important l’existence d’une période de suspension des relations de travail durant laquelle le salarié ne s’est pas tenu à la disposition permanente de l’employeur (Soc. 10 oct. 2018, n° 17-14.256, Dalloz jurisprudence).

Cette précision n’est pas sans incidence sur le régime juridique applicable à la rupture du contrat de travail à durée déterminée ultérieurement requalifié. Celui-ci étant réputé à durée indéterminée dès la date du premier contrat irrégulier, les règles applicables au contrat à durée indéterminée sont également réputées applicables de la date de conclusion du contrat irrégulier à la date de rupture des relations de travail. La Cour de cassation a dans ce sens affirmé que la requalification entraîne l’application à la rupture du contrat à durée déterminée des règles propres au licenciement (Soc. 25 mai 2005, n° 03-43.146 P, D. 2005. 2861, note G. Boucris-Maitral D. 2005. 2861, note G. Boucris-Maitral ; 20 oct. 2015, n° 14-23.712 P, Dalloz actualité, 12 nov. 2015, obs. J. Cortot ; D. 2015. 2187 ; Dr. soc. 2015. 1028, obs. J. Mouly ; ibid. 2016. 9, chron. S. Tournaux ; RDT 2015. 749, obs. L. Isidro ; 26 avr. 2017, n° 14-23.392, Dalloz actualité, 16 juin 2017, obs. X. Delpech).

Dans ce cadre, de manière classique, la rupture du contrat de travail à durée déterminée en raison de l’arrivée du terme s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse si le contrat est par la suite requalifié à durée indéterminée et que l’employeur n’est pas en mesure de présenter une lettre de rupture valant lettre de licenciement et énonçant des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse (Soc. 20 oct. 2015, préc.).

Mais la rupture du contrat à durée déterminée ultérieurement requalifié à durée indéterminée s’analysant en un licenciement, celui-ci peut-il également être annulé ? La Cour de cassation a admis de manière très restrictive la nullité du licenciement dans ce contexte en jugeant que, dès lors qu’aucun texte n’interdit ou ne restreint la faculté pour l’employeur de licencier le salarié, celui-ci ne peut prétendre, en cas de licenciement injustifié, qu’à des réparations de nature indemnitaire, de sorte qu’en l’absence de dispositions prévoyant la nullité et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, le juge ne saurait annuler le licenciement et ordonner la réintégration du salarié (Soc. 13 mars 2001, n° 99-45.735 P, D. 2001. 1215 ; Dr. soc. 2001. 1117, obs. C. Roy-Loustaunau. – Soc. 21 sept. 2017, n° 16-20.460 ; Dalloz actualité 30 oct. 2017, obs. J. Siro ; D. 2017. 1915 ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta).

L’arrêt commenté était l’occasion pour la Cour de cassation de confirmer les conditions dans lesquelles la rupture du contrat à durée déterminée ultérieurement requalifié à durée indéterminée s’analyse en un licenciement nul dans une espèce concernant une rupture intervenue durant une suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail.

Un salarié a été engagé par la mairie de Paris en qualité d’agent d’entretien par un contrat d’accompagnement dans l’emploi à durée déterminée du 13 octobre 2010 au 12 avril 2011, renouvelé jusqu’au 12 octobre 2011. Ce contrat constitue un contrat aidé visé aux articles L. 5134-19-1 et suivants du contrat de travail. Le salarié a été victime d’un accident du travail le 8 juillet 2011 puis a été arrêté jusqu’au terme de son contrat. Le 27 janvier 2012, le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification du contrat d’accompagnement en contrat à durée indéterminée en raison de la méconnaissance par l’employeur de son obligation de formation, qui constitue une condition sine qua non de recours au dispositif de ce contrat aidé (Soc. 9 avr. 2015, n° 14-14.745, Dalloz jurisprudence). Le contrat ayant été rompu durant la période d’accident du travail, le salarié a également sollicité la nullité du licenciement ainsi que sa réintégration. Par jugement du 12 décembre 2012, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté le salarié de ses demandes, sauf à faire droit à sa demande de dédommagement en raison du défaut de formation. Saisie de l’appel interjeté par le salarié, la cour d’appel de Paris a partiellement infirmé le jugement déféré et a fait droit à la demande de requalification du contrat aidé à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. En revanche, la cour d’appel a considéré que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a débouté le salarié de ses demandes résultant de la nullité du licenciement.

La cour d’appel a motivé le rejet de la demande de nullité en se référant à l’article L. 1226-19 du code du travail qui dispose que « les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ne font pas obstacle à l’échéance du contrat de travail à durée déterminée ». Selon la cour d’appel, le contrat à durée déterminée ayant pris fin en raison de la seule survenance du terme du contrat, la requalification postérieure en contrat à durée indéterminée ne permet pas au salarié d’invoquer la nullité du licenciement qui résulterait d’une rupture intervenue en violation de la période de protection instaurée par l’article L. 1226-9 du code du travail, sanctionnée par la nullité en application de l’article L. 1226-13 du code du travail.

En d’autres termes, selon la cour d’appel, le salarié ne saurait reprocher à l’employeur une violation de l’interdiction faite de rompre le contrat de travail durant une période de suspension d’origine professionnelle alors que la rupture est intervenue de plein droit en raison de l’échéance du contrat et de l’absence de prorogation du terme durant la période de suspension d’origine professionnelle.

Le salarié s’est pourvu en cassation et a, au contraire, fait valoir que, par l’effet de la requalification en contrat à durée indéterminée, il était en droit de se prévaloir de la nullité de la rupture du contrat de travail intervenue en cours de suspension du contrat de travail d’origine professionnelle.

Sans grande surprise, la Cour de cassation a suivi l’argumentation du salarié en jugeant qu’« il résulte des articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail, qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail du salarié consécutives à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur ne peut rompre ce contrat que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance de ces dispositions étant nulle ». La motivation de la cour d’appel avait peu de chance d’emporter l’adhésion des juges du droit dans la mesure où elle a occulté l’effet premier attaché à la requalification : le contrat à durée déterminée est réputé conclu à durée indéterminée dès la date du premier contrat irrégulier. Ce faisant, l’existence d’un contrat à durée déterminée est rétroactivement anéantie, de sorte que le juge doit considérer les parties en contrat à durée indéterminée de la date de requalification à la date de cessation des relations contractuelles. Ainsi, le contrat à durée déterminée n’ayant pas existé, c’est par fausse application que la cour d’appel s’est référée à l’article L. 1226-19 du code du travail, propre au régime du contrat à durée déterminée. La nullité du licenciement était ici justifiée en raison de l’existence d’une disposition spécifique, l’article L. 1226-13 du code du travail qui sanctionne par la nullité toute rupture de contrat intervenue durant la période de suspension d’origine professionnelle.

La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence antérieure (Soc. 6 oct. 2010, n° 09-42.283 P, Dalloz actualité, 2 nov. 2010, obs. B. Ines ; D. 2010. 2521 ; 18 déc. 2013, n° 12-17.925, Dalloz jurisprudence). À noter que la position de la chambre sociale est identique s’agissant de la requalification de contrats de missions temporaires en contrat à durée indéterminée et de la sanction de la rupture intervenue durant la période de suspension du contrat d’origine professionnelle (Soc. 16 mai 2018, n° 17-15.497, inédit).