La problématique de l’amiante est décidément au cœur de la construction jurisprudentielle sur l’obligation de sécurité de l’employeur : dans un arrêt majeur du 5 avril 2019 appelé à une très large publicité, la Cour de cassation vient de faire évoluer sa position concernant l’indemnisation du préjudice d’anxiété (cf. Cass. Ass. Plén., 5 avril 2019, n° 18-17442).
Depuis 2010, il a été admis qu’un salarié non malade mais ayant été exposé à l’amiante dans le cadre de son travail peut prétendre à obtenir l’indemnisation de son préjudice d’anxiété spécifique, à condition de travailler ou d’avoir travaillé dans un établissement de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, et à compter de l’inscription de celui-ci sur la liste permettant la mise en œuvre de l’allocation de cessation anticipée d’activité (ACAATA).
Dans son attendu, l’arrêt s’appuie expressément sur le fait que le développement de ce contentieux a fait apparaître de nombreux cas de salariés non éligibles alors que leur santé a été gravement compromise. Ce revirement jurisprudentiel est ainsi motivé par la nécessité d’assouplir une position jusqu’alors très ferme, afin de remédier à cette distorsion.
Sous réserve des délais de prescription, cette décision va susciter de nouvelles actions en justice en pratique.
Mais attention, cette ouverture reste encadrée et soumise à des conditions. La portée de la décision mérite donc d’être nuancée.
Typiquement, le salarié devra ainsi démontrer l’existence d’une exposition à l’amiante en lien avec une faute de l’employeur et d’un préjudice direct et personnel.
Son préjudice d’anxiété devra alors être prouvé sur la base d’éléments objectifs. En rejetant la possibilité de recourir ici à une évaluation subjective de ce préjudice moral et la possibilité de le caractériser sur la base de motifs généraux, la Cour semble de facto exiger une justification au vu d’un suivi médical (contrairement au cas des salariés travaillant en établissement classé). Il appartiendra à de futures décisions de venir préciser ce point important.
S’agissant de la faute de l’employeur, celle-ci découle du manquement à l’obligation de sécurité (précisons que dans la mesure où il s’agit de travailleurs non malades et pour lesquelles aucune maladie professionnelle n’est encore reconnue, le régime de la faute inexcusable n’est pas applicable). La décision vient ici conforter le tournant jurisprudentiel amorcé en 2015.
D’emblée, l’arrêt du 5 avril 2019 prend le soin de préciser que le préjudice d’anxiété indemnisable résulte du « risque élevé de développer une pathologie grave », ce qui exclut des situations de risque pathologique à faible probabilité et/ou à faible gravité (sans pronostic vital engagé par exemple).
On peut donc penser que cette solution ne permettra pas le développement de contentieux motivés par le simple « préjudice d’exposition » (comme cela a pu être admis de manière isolée pour une salariée exposée à un sentiment d’insécurité permanent dans son travail – cf. Cass. Soc. 6 octobre 2010, n° 08-45609).
En revanche, cette définition pourrait permettre d’appréhender d’autres situations en-dehors du risque amiante, notamment en lien avec la recrudescence de cancers professionnels (cf. poussières de bois, benzène, goudrons, bitume, etc. – rapport CNAMTS du 11 avril 2019) ou d’autres formes de risques émergents, et qui peuvent tout-à-fait générer des troubles psychologiques.
Cette possibilité se dessine en filigrane, en sachant que les conditions posées ne devraient pas conduire à un afflux contentieux de masse devant les juridictions prud’homales.