Le salarié reconnu victime d’un accident du travail consécutif à des agissements de harcèlement moral conserve la possibilité de saisir le juge prud’homal d’une demande d’indemnisation du harcèlement subi antérieurement à la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle. La Cour de cassation rappelle le principe dans un arrêt du 4 septembre 2019, qui concerne une tentative de suicide ayant donné lieu à l’attribution d’une rente d’accident du travail.
Il est de principe qu’un salarié ne peut agir en réparation d’un accident du travail sur le fondement du droit commun (CSS, art. L. 451-1). S’il souhaite obtenir une réparation complémentaire aux prestations servies par le régime des AT-MP, il doit faire reconnaître l’existence d’une faute inexcusable devant les juridictions de la sécurité sociale. La jurisprudence admet toutefois l’intervention du juge prud’homal au titre de l’indemnisation du harcèlement moral subi antérieurement à la prise en charge de l’affection au titre d’un accident du travail. Posée par un arrêt de principe datant de 2006, la solution vient d’être rappelée dans un arrêt du 4 septembre dernier.
Harcèlement moral ayant contribué à une tentative de suicide
Le 17 octobre 2012, un responsable de gestion a fait une tentative de suicide qui a été prise en charge par la sécurité sociale en tant qu’accident du travail. Il a ensuite introduit devant les juridictions de la sécurité sociale une action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en invoquant un harcèlement moral à l’origine de sa tentative de suicide. En parallèle, il a agi aux prud’hommes pour demander des dommages-intérêts au titre de ces mêmes agissements de harcèlement, sur le fondement de l’article L. 1152-1 du Code du travail.
Pour faire échec à l’action prud’homale, l’employeur faisait valoir que cette demande de dommages-intérêts tendait à la réparation du même préjudice que celui déjà indemnisé par la législation professionnelle. Conformément à l’article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale, elle relevait donc de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) et entrait dans le cadre de la réparation spécifique prévue par le régime des AT-MP. En d’autres termes, la réparation attribuée au titre de l’accident du travail ne serait pas cumulable avec l’indemnisation du harcèlement moral par le juge prud’homal. Un point de vue que ne partage pas la Cour de cassation.
Préjudice spécifique
Pour la Haute juridiction, « la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles ne fait pas obstacle à l’attribution de dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime antérieurement à la prise en charge de son accident du travail par la sécurité sociale ». La chambre sociale opère donc une distinction entre :
– le préjudice subi du fait du harcèlement moral durant la période antérieure à la reconnaissance de l’accident du travail, dont la réparation relève du juge prud’homal ;
– le préjudice postérieur, pris en charge au titre de la législation de la sécurité sociale, qui relève de la compétence du Tass.
S’agissant de deux préjudices et de deux périodes distinctes, le cumul d’indemnisation ne vient pas contrarier le principe de réparation forfaitaire des accidents du travail par la sécurité sociale. L’arrêt prend d’ailleurs soin de souligner que « les agissements de harcèlement moral étaient distincts des conséquences de la tentative de suicide reconnue comme accident du travail dont il était demandé réparation devant la juridiction de sécurité sociale ». Et d’en déduire que « le salarié était fondé à réclamer devant la juridiction prud’homale l’indemnisation du harcèlement moral subi au cours de la relation de travail ». Peu importe que ce harcèlement ait largement contribué à l’apparition de la lésion ou de l’affection prise en charge au titre de l’accident du travail.
La Cour de cassation avait déjà retenu une solution identique en 2006, en reconnaissant la compétence du juge prud’homal pour indemniser un harcèlement moral subi au cours de la relation de travail, antérieurement à la prise en charge de l’affection qui en était résultée au titre d’une maladie professionnelle (Cass. soc., 15 novembre 2006, nº 05-41.489 PB).
Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 1164 du 4 septembre 2019, Pourvoi nº 18-17.329