Clap de fin de la saga judiciaire autour de l’affaire « Micropole ». Tirant les conséquences de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 novembre 2017, la cour d’appel de Versailles a annulé, le 18 avril 2019, le licenciement de la salariée qui avait refusé d’ôter son voile islamique à la demande d’un client.
Restriction de la liberté religieuse sans clause de neutralité dans le règlement intérieur
Pour rappel, dans cette affaire, un prestataire informatique avait licencié, en 2009, une salariée au motif que celle-ci refusait d’enlever son foulard islamique au travail, malgré la demande formulée par le client chez qui elle était en mission.
Pour l’employeur, ce refus entrait en contradiction avec le principe de neutralité défendu par l’entreprise auprès de sa clientèle et rendait impossible la poursuite de la relation contractuelle.
L’affaire était allée jusque devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE 14 mars 2017, aff. C-188/15), pour revenir à la Cour de cassation qui avait rendu son verdict par un arrêt du 22 novembre 2017.
Celle-ci avait estimé qu’en l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur de l’entreprise, le licenciement de la salariée reposait sur un motif discriminatoire et que la demande d’un client de ne plus travailler avec une salariée voilée ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante permettant de justifier cette discrimination.
En effet, dans cette entreprise, le principe de neutralité résultait seulement d’un ordre oral de l’employeur ayant pour objet d’encadrer l’expression des convictions religieuses dans l’entreprise.
À cet égard, l’employeur rappelle qu’en 2009, il n’existait aucune réglementation spécifique sur le port des signes religieux dans l’entreprise et qu’il a fallu attendre la loi Travail du 8 août 2016 pour que le code du travail prévoie la possibilité d’inscrire une clause de neutralité dans le règlement intérieur sous certaines conditions (justification, proportionnalité…) (c. trav. art. L.1321-2-1).
Toutefois, pour la cour d’appel de Versailles, s’il n’y avait pas, à l’époque des faits, obligation de prévoir dans le règlement intérieur une clause pour imposer un principe de neutralité, la restriction par l’employeur de l’expression des convictions religieuses ne pouvait se faire, sous le contrôle de l’inspection du travail et du juge, que par le biais du règlement intérieur.
Tout comme la Cour de cassation, la cour d’appel de Versailles estime qu’une règle non écrite ayant pour seul objet d’encadrer l’expression des convictions religieuses constitue une discrimination directe fondée sur la religion.
Impossibilité d’interdire le voile en se fondant sur le souhait d’un client
Faute de clause de neutralité dans le règlement intérieur, la seule possibilité pour l’employeur d’éviter la condamnation pour discrimination directe était de démontrer que la restriction à la liberté religieuse imposée à la salariée était justifiée par la nature de la tâche à accomplir, répondait à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et était proportionnée au but recherché.
Mais la CJUE et la Cour de cassation avaient considéré que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir la prestation de services assurée par une salariée portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante.
La cour d’appel de Versailles rappelle cette position. Elle estime donc que la demande de la clientèle de la société Micropole, aux fins de « ce qu’il n’y ait pas de voile la prochaine fois », ainsi que le stipule la lettre de licenciement, ne constitue pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante et ne saurait donc justifier une discrimination directe interdisant de porter le voile.
Le licenciement de la salariée est donc jugé discriminatoire et est définitivement annulé.
CA Versailles, 18 avril 2019, RG 18/02189