Dans une décision du 14 novembre 2018 (Cass. soc. 14 novembre 2018, n° 17-11757, FS-P+B), la Chambre sociale de la Cour de cassation est revenue sur les limites dans lesquelles le contrat de travail peut permettre à l’employeur de changer unilatéralement certains paramètres d’exécution. En l’espèce, plusieurs salariés qui travaillaient depuis l’origine en horaires de soir ou de nuit ont été passés en horaires de jour, perdant de ce fait les avantages pécuniaires liés à leurs conditions de travail antérieures. Estimant que l’employeur avait unilatéralement modifié leur contrat, ils ont saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes à titre de rappel de salaire.

Pour débouter les salariés de leurs demandes, la cour d’appel a relevé que les contrats de travail prévoyaient que « les nécessités de la production [pouvaient] amener l’entreprise à affecter le salarié dans les différents horaires pratiqués et que l’horaire de travail [était] également susceptible d’être modifié ». Pour les juges du fond, il en ressortait donc clairement que « les parties n’avaient pas entendu contractualiser les horaires de travail […] et que l’employeur était libre, en application de son pouvoir, de modifier les conditions de travail, de modifier les horaires et lieux de travail en considération des nécessités de la production ».

La décision est finalement censurée par la Chambre sociale au visa de l’article L. 1121-1 du Code du travail (il est probable que la Cour de cassation ait plutôt voulu citer l’article L. 1221-1), ensemble l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Pour fonder la cassation, les Hauts magistrats s’en remettent au principe selon lequel « une clause du contrat de travail ne peut permettre à l’employeur de modifier unilatéralement le contrat de travail ». Or, en l’espèce, la cour d’appel avait également constaté que « les contrats de travail stipulaient au titre des dispositions particulières que les salariés effectueront des horaires de soir ou des horaires de nuit ainsi que le versement de primes afférentes ».

Ce principe, qui n’est pas nouveau – la Cour de cassation a raisonné de la même manière au sujet d’une clause de modification unilatérale de la rémunération au début des années 2000 (Cass. soc. 27 février 2001, n° 99-40219, FS-P+B), doit être bien compris tant sa rigueur parait absolue. Il ne vient nullement interdire aux parties de stipuler toute clause de variation unilatérale, comme c’est le cas en matière de lieu de travail (clause de mobilité géographique). Ce que la Cour de cassation interdit, c’est que le contrat prévoie « tout et son contraire ». Un contrat ne peut pas contractualiser des horaires d’un côté et, de l’autre, prévoir que l’employeur pourra modifier ses horaires à sa guise. Dans cette hypothèse, il n’y a pas d’engagement contractuel, d’où la référence à l’ancien article 1134 du Code Civil.

Est-ce à dire que l’employeur aurait pu arriver à ses fins en insérant une clause de variation unilatérale sans contractualiser les horaires de soir ou les horaires de nuit ? En d’autres termes, aurait-il pu introduire l’équivalent d’une clause de mobilité géographique ? Car loin de contractualiser le lieu de travail, cette clause octroie bien à l’employeur la possibilité de le déplacer dans une zone géographique clairement définie à l’avance. Pourquoi ne pas l’admettre dans d’autres domaines ? Sauf que la comparaison s’arrête là, du moins s’agissant du travail de nuit. Il convient de rappeler en effet que, pour la Cour de cassation, « le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit caractérise objectivement une modification du contrat de travail que la salariée est en droit de refuser » (Cass. soc. 22 mai 2001, n° 99-41146, FS-P+B). Tirant toutes les conséquences de ce principe, elle prive donc d’effet la clause par laquelle l’employeur se voit attribuer le pouvoir d’imposer une telle modification (Cass. soc. 18 décembre 2001, n° 98-46160, FS-P+B). Selon une formule devenue de style, « le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit constitue, nonobstant toute clause contractuelle ou conventionnelle contraire, une modification du contrat de travail qui doit être acceptée par le salarié » (Cass. soc. 24 mars 2010, n° 08-43324, inédit ; Cass. soc. 9 octobre 2013, n° 12-21807. Pour une formule voisine, v. Cass. 15 juin 2016, n° 14-27120, inédit).