Le principe : le temps de déplacement pour se rendre sur le lieu de travail n’est pas du temps de travail effectif
La prise en compte des temps de déplacement est partiellement prévue par le Code du travail (Art. L. 3121-4 C. trav) :
- Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail depuis le domicile n’est pas un temps de travail effectif.
- Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d‘une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière.
- À l’inverse, si pendant le temps de trajet, les éléments caractérisant le travail effectif sont présents, ce temps prend la qualification de temps de travail effectif (Cass. soc., 14 déc. 2016, n° 15-19.723) Par exemple, ne pas pouvoir transporter un tiers à l’entreprise, devoir effectuer le trajet le plus court.
Les règles fixées par le Code du travail et la jurisprudence sont donc les suivantes :
Trajet domicile lieu de travail habituel | Trajet domicile lieu de travail inhabituel |
Ce trajet est, par principe, hors du temps de travail effectif dès lors qu’aucun élément ne vient caractériser le travail effectif (C. trav., art. L. 3121-4). | Si le salarié est confronté à une situation de déplacement qui dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, ce temps fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière (C. trav., art. L. 3121-4).
Lorsque le lieu de travail est variable, l’employeur doit prendre en charge le surcroit de déplacement uniquement (exemples : un formateur qui se rend sur des lieux de formation dans toute la France, un ouvrier dont les chantiers sont mobiles…). |
Ce qui aurait pu changer : la position de la CJUE va à l’encontre de la jurisprudence française et du Code du travail
Un arrêt de la CJUE va à l’encontre des dispositions du Code du travail et pourrait aboutir à une modification de l’article L. 3121-4 du Code du travail pour les salariés itinérants.
Dans les faits, une entreprise espagnole avait recours à des techniciens affectés sur une zone géographique, qui se déplaçaient sur les lieux de dépannage grâce à une voiture de fonction. Le siège de l’entreprise organisait chaque jour leurs feuilles de route pour le lendemain, en fixant les horaires des rendez-vous avec les clients. L’entreprise avait refusé de comptabiliser comme temps de travail les temps de déplacements domicile/1er client, ainsi que le trajet dernier client/domicile.
La CJUE considère que dans la mesure où les salariés n’ont pas de lieu de travail fixe, constitue du temps de travail le temps de déplacement consacré aux trajets quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur. En effet, les salariés étaient à la disposition de l’employeur pendant les déplacements, ils étaient soumis à ses instructions et n’avaient pas la possibilité de disposer librement de leur temps.
La CJUE précise que l’article 2, point 1, de la directive « temps de travail » nº 2003/88/CE du 4 novembre 2003 « doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances […] dans lesquelles les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du « temps de travail , au sens de cette disposition, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur» (CJUE, 3e ch., 10 sept. 2015, aff. C-266/14, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras).
La position de la Cour de cassation : pas d’évolution
Le 30 mai 2018, la Cour de cassation a rendu une décision attendue (Cass. soc. 30 mai 2018 n°16.20.634) concernant l’impact de la jurisprudence européenne assimilant à du temps de travail les temps de déplacement quotidiens effectués par les salariés itinérants entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client.
Elle a conclu à la stricte application des dispositions du Code du travail excluant expressément la qualification de temps de travail effectif.
Comme le rappelle la Cour de cassation et comme l’avait relevé la CJUE, la directive nº 2003/88/CE du 4 novembre 2003 « se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs ». En conséquence, « le mode de rémunération des travailleurs dans une situation telle que celle en cause (…), dans laquelle les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur, relève, non pas de la directive, mais des dispositions pertinentes du droit national ».
Pour la rémunération des temps de déplacement domicile-client, la directive ne s’oppose donc pas à l’application de l’article L. 3121-4 du Code du travail prévoyant une simple contrepartie en repos ou sous forme financière lorsque ce temps dépasse le temps normal de trajet.
La Cour de cassation n’aligne donc pas sa jurisprudence sur celle de la CJUE. Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail depuis le domicile n’est pas un temps de travail effectif, même pour les salariés n’ayant pas de lieu de travail fixe.